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Ecrits en Auvergne-Rhône-Alpes et à Avignon

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Des ateliers d'écriture, de la poésie, des lectures publiques

une mosaïque de portraits poétiques à feuilleter en ligne

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Stéphanie Bara, Christian Rodier, Céline Savin

Chercheurs d’encre

07 octobre 2019 à 18H30

Ateliers à Chatel-Montagne - 03200 VICHY

Textes écrit pendant l'atelier du 7 octobre à Vichy

Un sosie

 

Il a 70 ans, peut-être plus, peut-être moins.

Calvitie, petite moustache blanche, raide, yeux bleus, lunettes d’écailles noires, rondes. Pas très grand, belle prestance, grande assurance. Le regard vif, un peu condescendant. Il est souvent au café, dans les rues, au marché, avec une petite cour, attentive et respectueuse. Lui toujours au centre. On le voit souvent avec un ancien militaire, très grand, qui fabriquait des soldats de plomb qu’un jour de colère, après des refus méprisants de marchands parisiens, il avait détruits.

Il en reparle 40 ans après, la blessure est toujours là.

Vichy est une ville de sosies, on y rencontre les sosies d’Hubert Reeves, de Pétain, de Pierre Richard, de Claude Lelouch. Lui, c’est le sosie de Pétain.

Il aurait joué comme figurant dans des films ou des documentaires sur l’Etat français de 40-44. Il aurait les mêmes idées. On dit qu’il a une vénération pour le Maréchal, qu’il a peut-être les clés de son bureau, rue du Parc. Peut-être est-il un fils bâtard du Maréchal, très vert malgré son âge, au point que la maréchale, lassée des assauts du vieux militaire,  faisait venir des « petites » de La Rochelle quand ils étaient à l’île d’Yeu.

Il traverse la ville, très droit, comme si rien n’avait changé depuis 44. Sur son passage, on croit voir des tractions avant, des femmes qui se dessinaient des coutures de bas sur les jambes, entendre des phrases en allemand, des chansons de Maurice Chevalier et humer un parfum de Coco Chanel.

 

Christian

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L’automne. Elle vient tous les automnes.

Elle a une voix sonore, comme s’il n’y avait qu’elle. Sa coupe courte et ses lunettes des années 50. Sa voix sonore, au téléphone et lorsqu’elle est devant moi. Et son intonation…

Elle ne s’assoit jamais... Sa voix, son timbre, son intonation, elle penche, incline vers ce qu’elle veut, ce qu’elle veut savoir.

Elle vient de L sur Orge.

Chaque automne, elle vient réclamer ses relevés parcellaires.

Pourquoi l’automne ?...

L’an passé, elle est venue avec son mari. Tous les deux, ils glissaient, penchaient vers moi comme la Tour de Pise, avec leur question qui leur tenait tant à cœur, les relevés parcellaires…

Cette année, elle est venue seule.

Il n’y a personne à côté de son téléphone, lorsqu’elle s’absente.

Elle est venue, a penché, m’a demandé ses relevés. Elle voulait les voir, tous les voir, s’assurer qu’ils sont vivants, bien complets. Mais elle ne comprend pas.

Elle voit toujours celui avec qui elle est en indivision, et qui est mort. Et elle ne comprend pas.

Je lui dis d’aller voir son notaire, de se rendre au Cadastre. Elle me dit oui. Mais elle me rappelle, et me dit qu’elle ne comprend pas, elle ne comprend pas pourquoi le mort, il est toujours dans son relevé parcellaire. Et je lui dis oui, que je ne peux plus rien pour elle. Elle doit aller voir son notaire ou se rendre au Cadastre. Elle me dit oui…

Mais je sais que l’an prochain, elle reviendra, et réexhumera le mort en indivision. Et je lui dirai d’aller voir son notaire, mort lui aussi peut-être…

 

Isa F.

Elle s’appelle Eve. Je le sais, j’ai vu son portrait dans une revue poétique publiée localement.

 Je sais qu’elle est poète.

 Je la croise assez régulièrement dans les rues de ma ville.

Elle est très brune, elle se maquille toujours d’un rouge à lèvres très rouge.

Elle a parfois sur la tête un béret noir ou rouge d’où dépassent ses cheveux mi-longs.

Elle est toujours en jupe, je ne l’ai jamais vue en pantalon.

En hiver ses collants sont noirs et rouge son petit manteau.

Elle marche vite avec ses bottines aux talons plats.

Pour moi, cette jeune femme est mystérieuse.

Nous nous sourions en nous croisant et on se salue d’un bonjour.

Que sait-elle de moi, elle ? Je pense qu’elle ne sait rien.

Ces rencontres fortuites et nos saluts respectifs ont duré ainsi pendant plusieurs années…

Et puis un soir, elle est présente à une lecture à laquelle j’assiste dans un appartement.

Alors, dans un éclat de rire, je lui dis que je suis heureuse de la rencontrer enfin pour de vrai, elle me répond qu’elle aussi attendait ce moment.

Nous nous sommes revues dans nos maisons respectives.

 Nous avons construit ensemble, à ma demande, une lecture  de textes sur le thème de la maison car j’allais bientôt quitter celle que j’habitais alors.

Puis nous sous sommes perdues de vue.

Tiens, il faut que j’appelle Eve…

Milie

Elle est délavée.

Blanche.

Bleue aussi donc.

Les frères Wolf. Pourquoi les frères Wolf ?

Pourquoi les frères Wolf et le casque à pointe peint en bleu ?

Aujourd’hui, elle a au moins 80 ans… Peut-être même 100.

Elle en a peut-être connu deux !

 

Au début, elle est grise, elle est ordinaire, elle fait l’angle entre le boulevard et la rue.

Elle vis-à-vise avec sa future voisine d’en face, la maison devant laquelle je passe aujourd’hui.

Etaient-elles déjà voisines  de murs, de balcon, de toitures ? De vue coupée à cause l’arbre ?

 

Puis, plus tard, elle est occupée.

Elle commerce de l’arme.

Elle goupille des affaires de grenades rouillées,

A l’angle de la rue et du boulevard.

Les frères Wolf.

Au nombre de 8 !

2 au commerce, 2 à la sieste, 2 au passé, 2 à naître !

 

Elle est d’avant-guerre sans doute

Oui… Mais laquelle…

Elle se rêve bourgeoise sous sa vieille devanture en bois bleu délavé.

Un temps, elle se rêve habitée plutôt qu’occupée.

Quoi sous le blanc qui recouvre maintenant les vitres ?

De vieilles grenades toujours à vendre ?

Un papier-peint à grosses fleurs ?

Des fusils rouillés, un casque à pointe ?

Des carreaux ciment à croix gammée dans la cuisine ?

 

A l’époque de… elle se veut bourgeoise plutôt que suspicieuse.

Elle se rêve art nouveau

Bien entourée

Sans vis-à-vis

Elle se rêve fraîche comme à la première pierre…

 

Elle se situe au numéro… je ne sais plus ou n’ai jamais su.

Le 40 se trouve de l’autre côté de la rue.

Elle est sans numéro, sans âge, sans adresse.

Sa façade blanche bleuit toute seule sous le casque des frères Wolf.

 

Stéphanie

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Il a 60 ans et la gloire le touche. Sa carrière s'achève ainsi, dans la lumière d'une bataille gigantesque parmi d'autres batailles gigantesques.

 

Il a 83 ans. La diplomatie l'appelle de sa retraite. Lui, l'ancien général remet ses lettres de créances à un général devenu chef d'Etat par la grâce de Dieu.

 

Il a 84 ans, la gloire l'appelle encore. Avec son vieil uniforme, son regard vide, sa voix presque chantante, triste et terne. Il s'installe au pouvoir, sans pouvoirs. Signe des lois qu'on lui prépare au bureau de son hôtel avant son déjeuner puis sa promenade. Dit ses discours tristes à la radio et glisse de la gloire à la trahison.

 

Il a 88 ans. Le regard toujours vide. La voix toujours triste. Devant le tribunal cette fois. Il ne se promène plus dans le parc comme je crois le voir ce matin avec sa canne. Il est dans la cour de la prison où il attend son jugement.

 

Il a 90 ans. Il est sur son île. Seul. En prison. Dans sa cellule. Loin de la gloire. Loin des tranchées. Loin de Vichy où je crois le voir ce matin sur le chemin de Saint-Louis. Le regard vide. Presque en uniforme comme il y a 75 ans.

 

Stéphane

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